En Côte d’Ivoire, un célèbre média en ligne a publié des résultats de vote fictifs à quelques heures de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025. Avant lui, d’autres initiatives similaires ont été observées sur les réseaux sociaux et dans les médias. Pourtant, la loi électorale interdit toute publication de ce type à partir de la date de diffusion de la liste électorale définitive.
Par Azil Momar Lo, Africa Check
Le 24 octobre 2025, de faux résultats de l’élection présidentielle du 25 octobre 2025 sont apparus sur Abidjan.net, un des médias en ligne les plus suivis du pays. Ces résultats fictifs largement relayés sur les réseaux sociaux à moins de 24 heures du scrutin ont alimenté beaucoup de débats et théories sur les réseaux sociaux, rapportant ainsi « une fuite de documents secrets du régime » et des résultats des élections présidentielles « déjà disponibles avant même le jour des élections ».

Peu après la parution de ces faux résultats, le site Abidjan.net s’est fendu d’un communiqué pour présenter ses excuses sur cet incident qu’il dit provenir d’une d’« une erreur d’affichage » et « d’un dysfonctionnement technique survenu lors des opérations de mise à jour » à l’occasion des « essais internes » sur sa plateforme des résultats de l’élection présidentielle de 2025.
Un mois avant cet incident, un cas similaire de publication de résultats de sondage avait déjà eu lieu sur les réseaux sociaux et dans les médias en Côte d’Ivoire. En effet, à travers une publication datant du 23 septembre 2025, l’homme politique Tiemoko Assalé, candidat déclaré à la présidentielle du 25 octobre, mais recalé à l’étape du parrainage, a indiqué qu’un sondage réalisé par The Messina Group, un institut américain, pour la période allant du 13 août au 3 septembre 2025, le classait à la 4e position des intentions de vote au 1er tour. Sa publication est devenue virale, engrangeant ainsi plus de 3 000 mentions j’aime, plus de 1 000 commentaires et plus de 100 partages. Plusieurs autres exemples (1,2,3) rapportent et interprètent diversement les résultats de ce sondage qui a été aussi repris à sa UNE par le quotidien ivoirien Le Nouveau Réveil dans son édition du 2 octobre 2025.
Violation des règles électorales
Pourtant, les dispositions du Code électoral ivoirien interdisent clairement toute publication de sondages et de résultats de vote après la publication des listes électorales définitives. C’est d’ailleurs ce qui a motivé la double mise en garde par la Commission électorale indépendante (CEI) visant les personnes et médias enfreignant la loi électorale à travers la publication de résultats de vote de sondage en période électorale.
D’abord, le 7 octobre 2025, la CEI a publié un premier communiqué rappelant qu’il est formellement interdit en Côte d’Ivoire de publier des résultats de vote et de sondages suite à la publication des listes électorales définitives. Puis, le 24 octobre 2025, suite à la publication des résultats fictifs de l’élection présidentielle par Abidjan.net, la CEI a réitéré, à travers un communiqué, qu’elle est « l’unique autorité habilitée à communiquer les résultats provisoires issus des bureaux de vote », en annonçant par la même occasion qu’elle « se réserve le droit de prendre toute mesure appropriée en cas de manquement ».
En réaction à la publication de ces sondages fictifs par Abidjan.net, la CEI a publié un communiqué dénonçant une « atteinte manifeste à la sincérité du débat démocratique » et des « agissements susceptibles de troubler l’ordre public ». Elle y annonce avoir porté plainte contre le média incriminé auprès des autorités judiciaires compétentes, soulignant la gravité de la diffusion de résultats fictifs à la veille du scrutin.

Que dit la loi électorale ?
Dans un communiqué publié le 7 octobre 2025, la CEI a mentionné qu’en application de l’article 39 du Code électoral : « Il est interdit à toute personne physique ou morale non habilitée à cet effet, de publier ou de diffuser des estimations de vote ou des résultats de sondage, sous quelque forme que ce soit et à partir de quelque lieu que ce soit, à compter de la publication de la liste électorale définitive ». Ce qui veut dire que toute publication ou diffusion de sondage est donc interdite à partir du moment où la liste électorale définitive est publiée.

En Côte d’Ivoire, la liste électorale définitive pour la présidentielle du 25 octobre a été rendue consultable le 4 juin 2025, conformément à l’annonce faite par le président de la CEI, Ibrahime Koulibaly-Kuibiert, deux jours plus tôt. Cette liste comporte 8 727 731 électeurs et peut être consultée sur le site de la CEI.
Bien que la loi interdise la diffusion de sondages et d’estimations électorales, pourquoi ces publications continuent-elles de circuler sur les réseaux sociaux et dans les médias ivoiriens ?
Regard d’experts sur la persistance du phénomène malgré l’existence des lois
Pour Marguerite Yoli-Bi Koné, superviseure de la Commission électorale indépendante pour les régions du Gboklé, de la Nawa et de San Pedro, cette situation s’explique par la prégnance des fake news en période électorale. Elle pointe du doigt notamment « des usagers qui cherchent du buzz », et estime qu’il reste très peu d’options avec « un citoyen qui décide sciemment d’enfreindre la loi, qui s’enferme dans sa chambre et invente des choses » sur le processus électoral. Aujourd’hui, note la représentante de la CEI, les réseaux sociaux sont devenus « des zones de non droit » malgré l’existence de la loi qui, selon elle, « est très connue » des usagers. « Tant qu’elle existe, nous sommes obligés de l’appliquer ».
Au Sénégal, par exemple, des professionnels des médias jugent « dépassées » les lois encadrant la diffusion de sondages d’opinion en période électorale. Sur cette question, Marguerite Yoli-Bi Koné note que l’initiative de changer la loi appartient au gouvernement ainsi qu’aux députés qui sont les représentants de la population. « Si les populations font le vœu qu’on change cette loi, elle sera changée ». Néanmoins, elle met en garde contre le fait que les élections en Afrique sont souvent « des moments d’exagération des conflits qui existaient déjà. Donc il faut faire attention à ce qu’il faut publier sur les réseaux sociaux », explique-t-elle, donnant pour exemple le fait que des usagers prennent parfois des documents qu’ils manipulent à l’aide de l’intelligence artificielle et les publient sur les réseaux sociaux. La transparence est certes nécessaire, mais selon Marguerite Yoli-Bi Koné, elle « doit être encadrée ». Cela veut dire que l’on n’a pas le droit de faire une compilation de votes et prétendre qu’il s’agit des résultats de l’élection, dans la volonté de tromper les populations et les électeurs, renchérit la représentante de la CEI.
Prenant le contrepied de cet argument, Dr Geoffroy Julien Kouao, politologue et essayiste ivoirien, argue que « l’article 39 du code électoral est anachronique et politiquement incorrect ».
« Nous sommes à l’ère des réseaux sociaux, c’est-à-dire de l’information instantanée. En sus, la publication des sondages est une pratique démocratique qui permet aux candidats de connaître leur position avant le vote et de travailler en conséquence ».
Évoquant des exigences de transparence et pour éviter la fraude électorale, l’expert souligne par ailleurs qu’« il serait bon que les résultats par bureau de vote soient instantanément publiés par les médias traditionnels et par les internautes ».
Enfin, Dr Geoffroy Julien Kouao conclut que « s’il est facile de sanctionner les médias traditionnels, il en serait autrement avec les réseaux sociaux ».
« Selon la loi électorale ivoirienne (Article 59, Ndlr), les résultats provisoires sont donnés par la commission électorale dans un délai 5 jours après la fermeture des bureaux de vote. Un délai trop long et qui pourrait alimenter les suspicions de fraudes », commente-t-il.
Lire et comprendre les sondages
Cette analyse sur les sondages en période électorale, publiée par une Coalition dirigée par Africa Check pour lutter contre la désinformation lors de la présidentielle sénégalaise de 2024, met en lumière plusieurs enjeux liés à l’interdiction des sondages en période électorale. Le texte s’appuie notamment sur un guide publié en 2016 par Africa Check, qui propose des conseils pratiques pour lire et comprendre les résultats d’un sondage d’opinion.
Selon ce guide, avant de donner du crédit à un sondage, il est essentiel d’en examiner la source, les motivations du commanditaire, la formulation des questions, la méthode de sélection des répondants, la représentativité de l’échantillon, le mode de collecte des données et le moment de réalisation de l’enquête, car chacun de ces éléments peut influencer fortement la fiabilité et l’objectivité des résultats.
Cet article a été réalisé par Africa Check membre de la Coalition Anti Dohi – une initiative qui œuvre pour l’intégrité de l’information dans le cadre de la présidentielle ivoirienne d’octobre 2025. La Coalition Anti Dohi est soutenue par le projet Renforcer la fiabilité de l’information en Afrique de l’Ouest de la GIZ, dans le strict respect de l’indépendance journalistique et éditoriale qui régit la Coalition.
